FROM ÉTIENNE DUMONT
22 February 1821
Genève 22 fevrier 1821.
Dear Bentham,
Je n'ai pas attendu jusqu'à présent à répondre à Mr Blaquiere de qui j'ai reçu un paquet de vous contenant votre ecrit sur le serment et une lettre coremencée le 27 Nov. et terminée le 17 Dec. - Vous m'annonciez un ecrit sur l'Espagne que je n'ai pas reçu. Mes occupations ne m'ont pas permis de vous répondre plutôt.
Notre Comité a fini la revision du Code penal. Il nous a occupé cent séances de 4 heures chacune, je n'ai pas tenu le compte des heures que j'avois employées à mon travail préparatoire. Nous devons maintenant le faire passer à une grande Commission - qui l'enverra au Conseil d'Etat - qui nommera des examinateurs - lesquels prononceront sur sa convenance - s'il est adopté, il sera presenté au C. Représentatif, une nouvelle commission sera nommée, toutes les discussions recommenceront, et ensuite, il sera soumis à trois débats de l'assemblée ... voilà l'enfer par lequel je dois passer - mais on avise aux moyens d'abreger, et d'arriver tout d'un coup à la commission du Conseil représentatif. J'ai quelque espérance de succès.
Quant au Code lui-même, il va être imprimé, il ne sera rendu public qu'au moment ou il sera porté au Conseil Souverain. J'en enverrai un exemplaire non à vous, mais à notre ami Mill, qui a plus de patience et qui comprend mieux le principe des concessions. Je suis fort loin d'être satisfait, on m'a fait faire des sacrifices que je regrette encore, on a mutilé toute la partie des expositions, on a été obligé de suivre une instruction du Conseil d'Etat qui énerve toute la loi, c'est que les peines ne sont qu'un maximum et que les juges peuvent toujours les diminuer - mais enfin on a travaillé sur votre plan, les definitions de chaque delit, une exposition telle quelle, les agravations, les atténuations, et pour l'ordre, les délits privés et ensuite les delits publics. C'est dejà un grand point de gagné que de montrer par le fait que votre plan n'etoit pas inéxécutable, n'etoit pas une belle spéculation de cabinet comme l'avoient decidé les rapporteurs du Code pénal françois; et il est evident par le fait encore que cette maniere de traiter la loi penale est en même temps la plus complette et la plus abrégée. La peine de mort est conservée, mais presque in terrorem, et pour des cas si graves qu'au moins l'on seroit bien sûr de ne pas blesser le sentiment public. Aller jusqu'à l'abolition absolue m'auroit eté impossible. - La plus grande difficulté que nous avons eprouvé et dont je ne crois pas que nous soyons sortis heureusement est pour les agravations: si elles se compliquent, elles peuvent porter la peine à un degré qui nous paroit exagéré - J'ai quelque espérance de ramener quelques unes des bonnes idées qu'on a écartées: dans la Commission du Conseil Rep., nous aurons un bon collaborateur (M. Rossi). Je me propose d'accompagner le tout d'un commentaire raisonné, mais vous sentez que ce travail me seroit difficile par rapport à des dispositions que je n'approuverois pas.
Je passe au Traité des Preuves: ce travail a été interrompu depuis mon retour en ville. Je le reprendrai au mois de mai dès que je pourrai aller à la campagne. Je suis assez content des parties que j'ai dejà mises au net, et j'augure assez bien du tout. Ce que j'admire le plus, c'est le livre des preuves circonstantielles. Mais il y a un grand déficit dans l'ouvrage, ce que le public y cherchera le plus avidement ne s'y trouvera pas. On sera etonné que dans le nombre des sûretés, vous n'ayez pas placé le Jury. J'avois dans de très anciens brouillons des dissertations que vous aviez faites contre cette institution, j'ignore si vous avez persisté dans les mêmes idées, ce que j'avois ecrit s'est perdu je ne sai comment. Cette matière pourroit appartenir a l'organisation judiciaire, et j'ai assez de matériaux sur cette partie pour en composer un volume qui seroit publié en même temps que les Preuves, mais que faire pour ce Jury? n'en rien dire, c'est tromper l'attente publique, c'est esquiver la question à la quelle on donne le plus grand interêt. Votre Jury optionnel me sembloit une heureuse combinaison. Pour les delits politiques, je ne vois rien d'egal au Jury soit pour le gouvernement, soit pour les Juges, soit pour les accusés et le public. - Le Canton de Vaud avoit mis cette question au concours, il y a eu 4 grands memoires (pas trop bons) pour et contre: le Conseil d'Etat a pris le parti de la négative. Ce n'est pas une grande autorité: car ce même gouvernement n'a pas encore admis la publicité de la procedure.
Vous voyez, mon cher Bentham, que mes vacances ont dejà leur destination, et vous ne devez pas trouver mauvais que je vous donne la preference sur l'agréable voyage que vous me proposez de faire à Madrid. J'ai Don Quichotte dans ma bibliotheque, je ne suis pas encore decidé à courir la carriere des aventures. Je n'aime point leur constitution, leurs trois degrés d'election, leur petit nombre, leur roi superflu, leur Commission intermediaire des Cortês etc etc. Je suis fâché que les Napolitains soient appellés à se battre pour les beaux yeux de cette Dulcinée. Je sais toutefois qu'il y a en Espagne et à Naples de fort bons esprits, de vrais croyants, et il me vient assez souvent d'Italie de fort beaux compliments que je vous renvoie. Les trois ouvrages dejà edités y ont eu un assez grand succès pour en attendre de plus grands encore. C'est là que vous aurez la plus grande influence. L'ecrit dont vous me parlez sur les colonies peut être d'un puissant effet [sur] les personnes principales, leur raison sera convaincue sans qu'ils osent agir en conséquence<.> Ne pourroit-on pas leur suggérer l'idée de quelque fédération qui sauvât l'amour-propre? <Cons.> un nom, un mot, Pacte de la famille Espagnole etc.
Nos prisons vont se reformer d'après un petit ecrit que j'ai publié qui n'etoit qu'un developpement d'un chapitre de la Theorie des peines, (ch. 7 Plan general etc.) il paroit décidé que nous aurons deux maisons l'une de detention pour prévenus en delits mineurs, l'autre de pénitence. Cet etablissement etoit absolument nécessaire pour l'application de notre Code Penal.
Notre Code de procedure civil est achevé et sanctionné. Le redacteur (Bellot) a enoncé dans son discours preliminaire que je lui avois communiqué divers Mss de Mr Bentham et qu'il en a tiré de grands services. - moins que je n'aurois voulu - mais toutefois, il en est resulté l'introduction des principes que vous estimez les plus importants. Sa declaration me suffit pour justifier la priorité, car autrement on auroit pu croire que dans le Traité des preuves, j'aurois emprunté des passages du Rapport fait par le jurisconsulte Genevois.
Les détails que vous me donnez sur vous-même, mon cher Bentham, ont procuré, je vous assure, le plus vif plaisir à mon ame rancuniere: votre lettre toute entière est pleine d'intérêt, je l'ai lue et relue plus d'une fois, elle m'anime, elle m'encourage, j'ai longtemps travaillé par la foi, je commence à voir des effets produits, ayez la bonne pensée de dicter une lettre à votre vieux ami pour lui rappeller les heureuses soirées. Je vous parlerois bien positivement du moment où je pourrai vous revoir, mais la Commission du Code Penal ne me permet pas de faire un plan fixe. Si ce n'est cette année (vers l'automne) ce sera du moins l'année prochaine. Je n'ajourne pas au delà.
Je n'ai point reçu de lettre de Mora, les communications sont difficiles, nous avons souvent nous des journaux qui ne nous arrivent point. Je suis si occupé et de plus si interrompu que je ne puis me livrer à aucune correspondance. J'ai cessé d'ecrire à tous mes amis, c'est toujours à demain et ce demain ne vient jamais. adieu, Tout à vous.