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Corrections for Correspondence X: 2743

FROM JOSÉ JOAQUÍN DE MORA

24 January 1821

Madrid 24 Janvier 1821.

Monsieur: je vous écris entre les quatre murailles d'une prison. Le desir de conserver la bonne opinion que vous vous etes formée de moi, m'a engagé à faire un petit recit de mon procès. Il vous paraitra incroyable mais je vous assure qu'il n'y pas un mot d'exageration ou de misrepresentation. Vous jugerez par ce petit echantillon de l'etat de notre jurisprudence, de la moralité de nos juges, de l'honnetété de nos ministres. On a voulu sacrifier un ecrivain liberal, celui entre tous qui a le plus de relations dans les pais etrangers et qui par conséquent est plus à même de decouvrir aux yeux de l'Europe les fautes du ministère; celui entre tous qui a quelque accès aupres de Ferdinand et qui dans des circonstances difficilès et sans sortir de son caractère d'homme privé et sans emploi, a su dire au monarque aveuglé des verités sevéres; celui enfin qui outre son influence comme ecrivain pouvait disposer de quelques autres moyens capables de jetter par terre nos petits grands hommes. Que fait on pour ruiner un homme qui peut disposer de tant de moyens hostiles? On invente un pretexte; on le met en prison et en jugement; on le confie à un juge qui a fait ses preuves en fait de complaisance pour les ministres; on le tient au secret (j'y suis encore) et par la, son journal est interrompu et tous ses moyens inutilisés. Vous avouerez que ces moyens s'ils ne sont pas legaux, sont au moins efficaces et que de prime abord les ministres on atteint le but principal de leur desire: viz mon silence. Je vous prie, Monsieur, de donner connaissance de la note ci-jointe à l'excelent Editeur de l'Examiner. Il pourra en tirer d'abondantes considerations sur le despotisme ministeriel qui parait aujourdhui etre un fléau général dans l'Europe.

C'est donc dans le fond de ma prison et malgré l'incomunication dans la quelle on me tient que vos lettres du 22 Decembre et du 9 Janvier me sont parvenues, aussi bien qu'un billet de Mr. Colon, la brochure sur Road Making, des Examiners, des Travellers et un Morn. Cronicle. Autant je suis reconnaissant aux bontés que vous me prodiguez, autant je suis consterné de la fatalité qui préside à notre correspondance et qui en vous laissant in darkness sur vos généreux effort pour hater le grand oeuvre de notre regeneration (à peine ébauchée) a pu vous donner des idées tres peu favorables sur mon exactitude et mon activité. Dans la dernière lettre que je vous ecrivis, par le moyen d'un ami de Paris qui devait la mettre entre les mains de Mr. Blaq... pour vous être remise, peu de jours avant le 30 Decembre et dont je ne puis pas vous determiner exactement la date, parce que je n'ai pas ici mes livres, papiers etc. - dans cette lettre, dis je, je vous envoyé un etat de toutes vos lettres qui me sont parvenues et un autre de toutes celles que je vous ai ecrites; je vous repondais sur tous les points essentiels de notre correspondance et je fesais l'apologie de ce qui dans ma conduite a pu vous paraitre effet de la lenteur ou de la negligence. Ce serait un bien grand malheur si cette lettre s'etait egarée malgré mes precautions: quoiqu'il en soit je vais vous dire quelque chose de ce que vous devez y avoir vu plus au long.

1. Offre de Sir Samuel. Nous avons pour ministre de la Marine un homme aussi égoiste que stupide, qui, rempli de dépit parceque il n'a pas pu conserver le portefeuille des affaires etrangeres qu'il eut quelques jours entre ses mains, abandonne entierement son departement, et tolere qu'une petite golette de 12 canons, fasse inpunément le blocus de tous nos ports de la mediterranée. Ce n'est pas un homme pareil qui est fait pour apprecier l'offre généreux de Sir Samuel ni pour en profiter.

2. Lettres sur les loix liberticides. Elles me sont toutes parvenues et sont à moitié traduites. Elles etaient destinées a remplir les premiers numeros du Constitucional mais la publication de ce journal est suspendue et ajournée à l'epoque de la mise en liberté de son principal redacteur.

3. Comentaire sur les opinions de Mr. Hermosilla sur les formalités de la procedure en matiere criminale. Il est tout traduit: il allait etre presenté au public dans le meme journal. Il pourra l'etre dans un autre si quand je ne serai plus au sécrèt, je puis reussir à le faire chercher parmi mes papiers.

4. Impolitesse de Mr. Arguelles. S'il n'etait qu'impoli! mais il est d'une nullité parfaite, d'un orgueil demesuré et exclusivement occupé à conserver son poste, sans qu'on racconte de lui la mesure la plus insignifiante relative a l'encouragement de l'industrie, au perfectionnement de l'education, à la conservation de nos libertés. Il serait tres convenable de racconter dans les journaux ce trait qui le ferait connaitre à ceux qui ne le connaissent pas encore.

5. Distribution de vos livres. Ils le seront aussi tot que la session comencera, ce qui est d'autant plus intéréssant qu'il parait qu'on va discuter avant tout le Code.

Il me semble que ce que je viens de vous dire suffit pour dissiper une grande partie de vos perplexités et sur tout pour vous faire voir qu'il n'y a pas eu ni lenteur ni negligence de ma part. Malgré le grand nombre d'occupations qui m'ont entouré dans ces derniers tems, je me suis toujours ataché de préférence à cooperer en ce que j'ai pu à vos vues généreuses. J'ai fait de nombreux extraits de vos ouvrages pour les intercaller dans le cours de droit public que j'allais ouvrir dans l'Athénée et je me flatte d'avoir inspiré le gout de vos doctrines à plusieurs de mes compatriotes. À propos de cela je vous dirai que Mr. Nugnez continue avec ardeur l'entreprise qu'il a commencée. Tous les journaux ont parlé avec éloge de la partie publiée: c'est un homme d'esprit et d'une vaste instruction.

J'ignore absolument dans quel état se trouve la commission dont Mr. Colon est chargé auprès de vous. Je desire qu'elle aie une prompte reussite, ce dont je ne doute nullement.

Quoique j'ai lieu de croire qu'on me tiendra au secret le plus long tems qu'on pourra, je presume que j'aurai la facilité de vous écrire sous peu de tems. En attendant agréez l'assurance de ma parfaite consideration. J. J. de Mora.

[ENCLOSURE]

The case of Mora

Depuis les affaires du mois de Septembre deux sociétés populaires existaient à Madrid. Elles etaient dessignées sous les titres de Malta et la Fontana, du nom des caffés où elles se reunissaient. Les membres de la Fontana avaient stipulé secretement avec le ministère pour leur conservation: ceux de Malta obeissaient bonnement la loi qui exige qu'on fasse savoir à l'autorité que les citoyens vont se reunir pour discuter les affaires politiques. Mora frequentait la tribune de Malta: il s'y prononça contre le ministère: plusieurs autres orateurs imiterent son exemple: ils proposèrent d'envoyer une addresse au Roi pour lui demander la destitution des ministres: cette addresse fut adoptée, signée par un grand nombre de citoyens. Mora ne la signa pas: il la trouvait trop faible: il en preparait une beaucoup plus energique. Cette scène eut lieu le 26 Decembre: le 27 le chef politique, jeune homme ignorant et vain, deffendit les reunions conditionnellement: c'est à dire, exigeant d'après les termes de la loi, qu'on donnat connaissance à l'authorité. En attendant, on place de nombreux piquets de cavalerie et d'infanterie à la porte de Malta, mais à l'heure marquée, les membres se réunnissent, on donne avis à l'autorité et demandent que Mora monte à la tribune ce qu'il fit. Le 28 même scène: des mesures militaires; une foule immense, et la tribune otee: mais le public la demande à grands cris: on menace le caffetier: il cede: on replace la tribune; on demande Mora et Mora monte. En meme tems, la societé de la Fontana etait reunie; la tribune etait placée: aucune mesure coercitive n'anonçait l'intention de la dissoudre: point de troupe dans ses alentours et plus de 1000 hommes autour de Malta. Le 29 surcroit d'apareil militaire: defense absolue de se reunir: Mora ne se montre pas: il etait chez lui. Le 30 on le met en prison et on le fait subir un interrogatoire. Comme la loi exige (la Constitution) qu'on ne mette en prison un citoyen sans lui en dire le motif, le juge fut forcé de dire à Mora le chef d'accusation. Vous etes accusé, lui dit-il, d'avoir demandé à hauts cris la tribune au caffé de Malta, dans les soirs du 27 et suivans. Mais il y a une distinction a faire, dit-il, entre le 27 et le 28 et le 29. C'est ce que nous verrons, lui repondit-on; mais vous serez au secret, où en effet il est depuis lors, sans avoir revu le juge. Il est à remarquer qu'en meme tems, on a mis en prison deux ou trois orateurs de Malta et qu'aucun de ceux de la Fontana n'a été mis en jugement.

Cette maniere de proceder ne différe en rien de celle qu'on suivait dans l'inquisition: on a lieu de douter si on jouit d'un ordre de choses digne d'une société civilisée, dans un pays où l'on trouve de pareils juges.