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Corrections for Correspondence X: 2661

FROM JEAN-BAPTISTE SAY

8 July 1820

Monsieur et digne ami, je vous envoie un paquet que votre frere m'a fait passer il y a deja quelque tems et qui a dû attendre chez moi que j'eusse trouvé une occasion sure. L'ami qui a la bonté de s'en charger est M. Dupin, ingénieur de la marine et membre de l'Institut. Il sera peut etre ouvert par vos douanniers; ce ne sera pas la faute du porteur, homme d'honneur autant qu'homme d'esprit.

Quand vous verrez M. James Mill veuillez m'excuser si je n'ai pas répondu à la lettre de lui que me remit son fils lors de son passage à Paris.

Que pourrais-je vous dire de nos affaires politiques? Elles m'inspirent un profond dégout. La France est un corps robuste, couvert d'une vermine qui le suce, qui le ronge et l'irrite. Au premier mouvement qu'il fera, la vermine sera ecrasée; mais il faut que ce mouvement se fasse, et lui seul peut le faire. Ses conseillers le lui ont fait entendre, mais ils ne peuvent l'aider, etant garrottés eux mêmes.

Croiriez-vous que dans nos derniers jugemens pour cause politiques, les jurés ont été choisis, ça et là, parmi les hommes du parti opposé aux prévenus et surtout parmi leurs ennemis personnels! Le préfet n'a pas craint d'ecrire aux douze adjoints qu'il a dans les quartiers de Paris, de faire ce choix avec soin. Toute recusation etait illusoire. On donne des gratifications et de l'avancement aux juges et aux substituts de la partie publique à proportion de la severité de leurs jugemens dans les causes politiques. Bonaparte a mis l'administration de la justice à la discretion du gouvernement, et tous les agens du gouvernement dans l'ordre administratif sont tous devenus des agens de police. Administrer en France, c'est maintenant faire la police au profit du gouvernement et rien de plus.

Aux termes des lois les journaux seuls devraient etre soumis à la censure. Par le fait tous les autres ecrits y sont soumis. On est obligé, avant la publication, d'en déposer cinq exemplaires. Si l'ecrit est patriotique, le gouvernement le fait saisir judiciairement et dès-lors on ne peut le vendre sans delit. Il devrait le déferer aux tribunaux. Il ne le défere pas. nul moyen de réclamer. Auprès de qui réclamerait-on? C'est des supérieurs eux mêmes que partent les ordres dont on se plaint. Et d'ailleurs les tribunaux sont prets à condamner qui on leur designe et à absoudre ceux qu'on protège.

Notre peuple crie Vive la Charte, comme le votre crie Vive la Reine, sans l'estimer beaucoup, mais seulement pour exprimer un voeu contraire à ses ennemis. En tout la situation de l'Europe et du monde, etonne le philosophe autant qu'elle l'afflige. Rien dans l'histoire n'en offre l'equivallent, si ce n'est que notre gouvernement rappelle un peu celui des derniers Stuarts et parait destiné à finir de même; mais tout le reste diffère. Rien n'est plus bizarre que de voir la colère du peuple anglais poursuivre les vainqueurs de Waterloo, comme il a fait dernierement à Brighton. Plut à dieu que nous eussions eprouvé un Waterloo quinze ans plutôt. La vermine aurait trouvé la france constituée republicainement. Toutes les institutions alors etaient populaires. La vermine n'aurait pas pu s'y loger; au lieu de cela, elle s'est répandue dans toutes les institutions despotiques qu'on a mis quinze ans à construire; elle a trouvé des agens tous corrompus, et une nation replongée dans l'ignorance par un despote qui seul a eu la parole pendant quinze années.

Pardon si je laisse courir ma plume et couler ma bile devant vous. Il y a bien de quoi etre irrité; mais le remède est peut-etre à la porte.

Tout à vous

J. B. Say

Paris 8 juillet 1820